La peau est le plus grand organe du corps humain et constitue un témoin privilégié de l’état de santé d’une personne. Son étude permet de mettre en évidence de multiples affections, allant de lésions bénignes aux mélanomes. Cependant, le diagnostic dermatologique repose aujourd’hui encore très souvent sur des technologies classiques. Jihad Zallat, Christian Heinrich et des chercheurs du thème « Imagerie optique » du laboratoire ICube, soutenus par la SATT Conectus Alsace, ont mis au point un dispositif imageur d’aide au diagnostic dermatologique.

Des expertises complémentaires

L’exploitation d’un tel dispositif demande de multiples compétences scientifiques, les données issues de l’imageur devant être traitées et analysées. « Au sein du laboratoire ICube, je développais des dispositifs d’imagerie optique polarimétrique, tandis que Christian travaillait sur le traitement de données et l’apprentissage statistique », se souvient Jihad Zallat.

Après avoir envisagé plusieurs applications, c’est finalement la piste de la dermatologie qui a été retenue. Ce projet a bénéficié d’un soutien de la SATT Conectus, et a débouché sur le prototype Dermapol.

L’équipe de recherche a alors été rejointe par un partenaire industriel, l’entreprise française ARCHOS, qui a permis d’accélérer le développement de la solution. Cette collaboration a conduit à la création de la start-up Poladerme en 2021.

Dépasser les limites du dermatoscope traditionnel

L’approche employée dans les examens dermatologiques repose essentiellement sur un examen visuel, à l’aide d’un dermatoscope. Ce dispositif est une loupe, pourvue de sources de lumière, et dans certains cas de filtres polarisants pour améliorer le contraste en éliminant les reflets indésirables. Le médecin peut alors décider de procéder, si nécessaire, à une biopsie.

« Cette approche est perfectible, étant donné qu’elle repose sur une observation de la surface de la peau. Aucune information provenant des couches plus profondes de la peau n’est prise en compte directement », souligne Jihad Zallat. « Le praticien établit son diagnostic à partir de l’aspect (forme, couleur, taille…) de la lésion et de son évolution. »  Poladerme entend enrichir l’information mise à disposition du praticien.

Des dispositifs d’imagerie de la peau de haute technicité ont été développés par ailleurs, mais ceux-ci sont souvent onéreux, complexes et analysent un champ de vue restreint. Leur diffusion est donc limitée. Poladerme propose un équipement abordable, aisé à mettre en œuvre, permettant l’analyse d’un champ de vue macroscopique. Cet équipement est destiné, à terme, à être utilisé par des médecins généralistes, ce qui permettra d’accélérer la prise en charge des cas suspects par les dermatologistes.

Lumière et peau

Le dispositif développé par Poladerme est un dermatoscope de nouvelle génération qui exploite le champ de lumière à différentes longueurs d’onde. « Faire varier la longueur d’onde permet de sonder la peau à différentes profondeurs », explique Jihad Zallat. « La lumière bleue donne une information surfacique, tandis que l’infrarouge permet d’accéder jusqu’au derme. » Les images, captées à l’aide de cinq caméras embarquées, offrent des informations invisibles à l’œil nu, jusqu’à une profondeur de quelques millimètres.

Poladerme est un instrument spectropolarimétrique. Il mesure l’état de polarisation de la lumière en fonction de la longueur d’onde, la polarisation étant définie par l’orientation du champ électrique de l’onde lumineuse. Le dispositif embarque différentes sources de lumière, polarisée chacune de manière spécifique, ainsi que des capteurs possédant chacun son état propre d’analyse de la polarisation. Cette structuration permet d’exploiter une large gamme d’états de sondage de la peau.

Quel intérêt la spectropolarimétrie présente-t-elle pour un dermatologue ? « L’interaction lumière – tissu modifie l’état de polarisation de l’onde incidente. », indique Jihad Zallat. « Ce changement porte la signature de la structure cutanée, et donc de la lésion. » Les premiers essais cliniques ont ainsi permis, par un état des lieux complet de la zone étudiée, de mettre en évidence des signatures polarimétriques différentes entre un tissu sain et un tissu lésionnel d’une part, mais également entre lésions de types distincts.

Une base de données inédite en cours de constitution

Les images recueillies doivent être traitées et analysées. C’est à cette étape qu’interviennent des algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning), une branche de l’intelligence artificielle. « La base de données sera constituée d’images Poladerme associée chacune à une biopsie », expose Christian Heinrich. « Lorsqu’une nouvelle donnée arrivera, il s’agira de la confronter à la base de données de référence. Ceci permettra de proposer des pathologies probables. »

Poladerme repose sur une méthode d’imagerie innovante. Une telle base de données n’existe donc pas. « C’est précisément ce que nous allons réaliser à présent : la production d’une base de données liant biopsies et images spectropolarimétriques », annonce Christian Heinrich. « A terme, cette base constituera une valeur ajoutée considérable pour les dermatologues. »

Cette étape primordiale dans la vie de Poladerme a débuté. En effet, après un travail conjoint avec l’équipe d’ingénieurs d’ARCHOS durant plus d’un an et le dépôt d’un brevet relatif au dispositif, les premiers appareils fonctionnels ont été produits et livrés. La constitution de la base de données est en cours, grâce aux premiers praticiens utilisant l’équipement.

De la dermatologie à la cosmétologie

Outre les applications en dermatologie médicale, l’imagerie de polarisation spectrale peut être un outil pertinent en cosmétique. Dans ce contexte, il s’agit d’établir un bilan personnalisé de l’état de santé de la peau, afin de proposer des soins adaptés. « A plus long terme, nous souhaitons pouvoir fournir une image en 3D de la peau, de son relief et de ses différentes couches », révèlent Jihad Zallat et Christian Heinrich. Une nouvelle application prometteuse sur laquelle nous reviendrons prochainement plus en détails, sur le site du Carnot Télécom & Société numérique.