« Les casques de motocycles et de cyclistes conçus aujourd’hui sont basés sur des normes de sécurité anciennes qui sont devenus obsolètes » introduit Rémy Willinger, professeur en biomécanique au laboratoire ICube de l’université de Strasbourg. Les normes de sécurité actuelles des casques de protection reposent sur le « Head Injury Criterion » et datent des années 1970. Ces dernières n’intègrent donc pas les connaissances accumulées ces dernières décennies dans les domaines comme la mécanique des solides, des fluides, la biomécanique et la médecine.
« Le choix des casques par les consommateurs est basé sur l’esthétique ou le confort, mais la sécurité d’un casque par rapport à un autre ne fait pas partie des critères de choix car l’information n’est pas encore suffisamment mise en avant par les fabricants » explique Laurent Santucci, partenaire de l’Assurance Mutuelle des Motards (AMDM).
Chocs obliques et traumatismes cérébraux
Avant leur commercialisation, la capacité de protection des casques est testée en faisant tomber une tête artificielle casquée sur une surface horizontale. La hauteur choisie pour la chute leur confère une vitesse donnée au moment de l’impact, ce qui conduit à une décélération de la tête caractéristique du casque.
Pour passer les normes de sécurité actuelles, les casques sont uniquement testés sur la protection qu’ils confèrent à la tête lors d’un impact dit linéaire, c’est à dire résultant d’une chute perpendiculaire à la surface impactée.
Ces tests possèdent différentes limites. Premièrement, la plupart des chocs réels sont issus de trajectoires obliques. Par exemple, lorsqu’un motocycliste est projeté sur la route à la suite d’une collision, sa trajectoire comporte une composante verticale, mais aussi horizontale, au moment de l’impact. Ces chocs obliques induisent des forces de translation et de rotation sur la boite crânienne, qui aboutissent notamment à des effets de cisaillement dans la matière cérébrale. Les casques actuels protègent plutôt correctement des fractures crâniennes mais ne sont pas optimisés face à ce type de traumatismes cérébraux.
Afin de mieux comprendre l’effet des chocs en conditions réelles, l’équipe de Rémy Willinger a participé à l’analyse de 125 traumatismes crâniens qui ont eu lieu lors de ces quinze dernières années. « Lors de ces analyses, nous avons identifié la cinématique des victimes, puis simulé le traumatisme crânien pour calculer les contraintes de cisaillement dans la matière cérébrale que nous avons corrélé avec la survenue de comas », explique le chercheur. Cette étape a permis de montrer que l’allongement des liaisons nerveuses provenant des forces de rotation sur la boite crânienne pouvait entrainer des séquelles irréversibles au niveau du cerveau. Avec l’analyse de ces traumatismes, l’équipe a défini des limites de tolérance des lésions cérébrales et donc sait évaluer les casques vis-à-vis de leur niveau de protection. Les résultats de ces études ont d’ailleurs été transférés aux laboratoires de recherche de compagnies automobiles afin qu’ils puissent aussi optimiser leurs systèmes de protection.
MechaniCS : une approche couplée expérimentale et numérique
Afin de déterminer quels casques protègent le mieux la matière cérébrale lors des chocs obliques, la plateforme MechaniCS (Mécanique des fluides, matériaux, biomécanique, Conception et Simulation) du laboratoire ICube a développé des méthodes de test des casques plus complètes par rapport à celles qui sont habituellement effectuées. En plus de tester l’impact des casques sur des surfaces horizontales, ils sont également testés sur des surfaces inclinées, simulant les chocs issus de trajectoires obliques. Les têtes artificielles casquées possèdent des capteurs localisés au niveau de leur centre de gravité, qui enregistrent les accélérations linéaires et rotatoires pour avoir une vision globale de la capacité de protection des casques. Chaque modèle de casque est testé dans six conditions d’impact, trois linéaires et trois obliques : deux tests pour chaque zone de la tête (frontale, latérale et occipitale). « Nous reproduisons trois fois chaque test pour nous affranchir des éventuels défauts de fabrication d’un casque en particulier », précise Rémy Willinger.
Les six courbes d’accélération (linéaire et angulaire) recueillies pendant les tests sont ensuite introduites dans un modèle numérique de tête pour calculer la réponse du cerveau face aux chocs et les comparer aux limites de tolérance définies antérieurement.
Pour cela, la tête est modélisée numériquement avec la méthode des éléments finis : le crâne et le cerveau sont « découpés » en petits éléments géométriques auxquels des propriétés mécaniques tissulaires sont associées. « Cette approche rend compte de géométries compliquées et permet de calculer les contraintes internes et la déformation de la matière lorsque celle-ci fait face à un chargement donné », explique le chercheur. Avec l’enregistrement des différentes accélérations de la tête artificielle, il est donc possible d’estimer les effets sur le cerveau via le modèle numérique.
Cette approche donne une estimation de la protection conférée par les différents modèles de casques face aux différents chocs. Les résultats des tests aboutissent à une notation globale allant de un à cinq.
Certimoov : une initiative qui recense les évaluations en laboratoire de casques moto et vélo
Le site Certimoov a été créé en 2018. Il est accessible à tous et possède une double fonction. Premièrement, les notes associées aux tests sur les différents modèles de casques par la plateforme MechaniCS sont accessibles aux consommateurs. « Dans le cadre de Certimoov, nous testons les casques qui existent déjà dans le commerce afin de communiquer les résultats au grand public », explique Laurent Santucci.
Deuxièmement, les protocoles de tests de casques sont mis en ligne et sont accessibles aux fabricants afin qu’ils puissent optimiser leurs casques en fonction des méthodes objectives développées par les scientifiques.
Ces recherches permettraient d’aboutir à de nouveaux modèles de casques. « Afin de mieux répondre aux chocs obliques, l’idée générale est de découpler la partie extérieure du casque par rapport à la partie interne en contact de la tête afin de limiter l’effet des forces de rotations », explique Rémy Willinger. De nombreuses recherches et développement sur ces modèles de casques sont en cours. « Nous ne cherchons pas les solutions, c’est aux fabricants de le faire, nous réalisons juste des tests objectifs afin de leur donner les outils et les connaissances. Cependant, nous pouvons également assister les fabricants dans l’optimisation de leurs casques s’ils le souhaitent », ajoute Laurent Santucci.
Certimoov est donc une base de données qui permet d’aiguiller les consommateurs sur leur choix, ainsi que les fabricants sur leurs modèles, afin de remettre les critères de sécurité au devant de la scène. A terme, cette base de données inclura d’autres protocoles de tests et des résultats sur différents types d’équipements de protection comme par exemple les dorsales de protection.
Le partenariat et la pluridisciplinarité à l’origine d’importantes avancées dans le domaine
Pour arriver à ces résultats, la plateforme MechaniCS a nécessité une grande collaboration pluridisciplinaire, notamment en intelligence artificielle, en mécanique des matériaux (solides, fluides et gélatineux), ainsi que sur les aspects biomécaniques ouverts vers la neurochirurgie et la médecine.
Ces travaux ont été cofinancés au départ par la Fondation MAIF qui a accompagné le développement des protocoles de tests par le laboratoire ICube. Depuis 2019, l’Assurance Mutuelle des Motards s’est intégrée au financement du projet afin d’en assurer la pérennité et de communiquer ses résultats au public et aux fabricants.
En partie grâce à cette initiative, de nouvelles normes de sécurité qui intègrent notamment la protection apportée par les casques contre les chocs obliques, deviendront obligatoires à partir de 2023.