Article du 28 Janvier 2018 sur le JDD - auteur : Juliette Demey : LIEN
Un laboratoire strasbourgeois étudie les crues en milieu urbain grâce à une maquette figurant un quartier imaginaire. Les chercheurs expliquent que leurs simulations en miniature permettront d’adapter la géométrie des communes pour minorer les risques.
Comment mieux prédire l'impact des crues pour mieux aménager les villes? Alors que des dizaines de communes ont les pieds dans l'eau dans le nord et l'est de la France, les pouvoirs publics ne peuvent s'appuyer que sur des modélisations numériques incertaines. Ces logiciels qui simulent les écoulements lors d'inondations urbaines "utilisent des équations et des paramètres conçus pour les écoulements en rivières, ou dans la mer, explique Pascal Finaud-Guyot, enseignant-chercheur de l'équipe MecaFlu d'ICube (laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie, CNRS) à Strasbourg. Aujourd'hui, il n'existe pas d'outil spécifique conçu pour étudier et prédire les crues en ville".
Pour qu'un logiciel livre des résultats fiables, il faut lui injecter les bonnes données. Or, si l'on sait mesurer la hauteur d'eau ou le débit d'une rivière en y installant des capteurs, réaliser des observations in situ en ville se révèle bien plus complexe, poursuit le chercheur : "Soit on tombe sur une crue exceptionnelle et les instruments sont emportés, soit il ne tombe pas une goutte d'eau, soit on mesure des données peu exploitables car très perturbées, par exemple si un camion renversé sous l'effet du courant se met en travers de la rue." Quant à l'observation par satellite, elle manque encore de précision en ville. Les logiciels de traitement d'image confondent parfois un arbre avec un reflet, des nuages peuvent masquer la vision… Pour modéliser les crues en milieu urbain, l'équipe d'ICube a donc conçu un dispositif expérimental spécifique. Avec un double objectif : produire les informations destinées à nourrir un nouveau logiciel, et tester l'efficacité des logiciels existant.
Après des mois de fabrication et plusieurs centaines de milliers d'euros (investis en partie par l'ex-Région Alsace), cette plateforme unique a vu le jour en 2012 à Strasbourg. Soit une grande table carrée en Plexiglas de 5 mètres de côté, découpée en sept rues dans la direction nord-sud et sept autres orientées est-ouest. Ces petits couloirs délimitent des blocs, figurant immeubles ou pâtés de maisons. "Cela représente un quartier d'une ville moyenne qui n'existe pas, détaille Pascal Finaud-Guyot. La largeur des rues varie, elles ne sont pas toutes perpendiculaires. Certains angles sont biseautés, certains carrefours ne comptent que trois branches".
A chaque entrée de rue, une pompe permet d'injecter de l'eau avec un débit modulable, jusqu'à 7 m³ par heure, soit 100 m³ au maximum dans tout le dispositif. L'équipe travaille sur des crues moyennes à extrêmes. "Si on les transposait à l'échelle de Paris, il s'agirait de crues un peu inférieures à celle de 1910, jusqu'à bien plus exceptionnelles".
A l'aide de capteurs ultrasons et de caméras reliées à un logiciel de traitement de l'image développé au laboratoire, la hauteur d'eau est mesurée en tout point. Un vélocimètre mesure l'écoulement à chaque carrefour et à la sortie de chaque rue. "On sait par où l'eau passe, à quelle vitesse, comment le débit évolue sur la distance et dans le temps", confie Pascal Finaud-Guyot. Avec quatre enseignants-chercheurs impliqués et deux thèses soutenues, la plateforme a déjà livré des enseignements : "Sur notre modèle réduit de ville, la façon dont le débit se répartit dépend plus de la géométrie des lieux que de la façon dont l'eau y pénètre. On appelle cela l'effet filtrant."
En conséquence, pour penser l'aménagement et élaborer un plan de prévention du risque inondation (PPRi), plutôt que de modéliser des villes entières, on peut découper la zone en plusieurs sous-domaines. Ce qui permet de n'étudier que grossièrement certains quartiers et d'investir ses efforts sur ceux où une étude fine est nécessaire.
Même si le dispositif schématise la réalité – le Plexiglas est hermétique, à l'inverse des sols –, ces données constituaient un point de départ indispensable. Désormais, l'équipe veut aller plus loin. "Lors d'une crue en ville, une partie de l'eau reste invisible, précise Pascal Finaud-Guyot. Elle s'écoule dans les égouts et le réseau de métro, passe par des caves ou des fenêtres cédant sous la pression…". Un étudiant en thèse mène une étude sur ces écoulements "secondaires". Quel est leur impact? Faut-il les intégrer dans les modèles de crue ou les négliger? A l'arrivée, l'équipe de Strasbourg espère rendre le logiciel qu'elle a développé (Flood1D2D) adaptable à n'importe quelle crue et à n'importe quelle ville.
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