Ce qu’il est convenu d’appeler « la » schizophrénie rassemble sous un même nom des manifestations cliniques très hétérogènes, dont l’évolution et la charge héréditaire sont aussi extrêmement variables. De fait, Emil Kraepelin, l’inventeur du concept, a passé la seconde moitié de sa vie à tenter d’en identifier des entités plus homogènes ; Eugène Bleuler, l’inventeur du nom, parlait du groupe « des » schizophrénies. Les classifications internationales (DSM et CIM) ont, pendant un temps, fait taire la critique en faisant passer la schizophrénie pour une norme. Cependant, l’échec de toutes les tentatives pour en identifier la ou les causes et donc à en faire une véritable « maladie », a relancé le débat : la schizophrénie peut-elle se définir par une cause ? Ou n’est-elle qu’une simple convention rassemblant sous une même étiquette des maladies psychotiques ayant chacune leur propre cause ?
Une étude de l’université de Strasbourg qui vient d’être mise en ligne dans « Progress in Neuropsychopharmacology & Biological Psychiatry » apporte une réponse sans ambiguïté à cette question. Le centre de neuromodulation non invasive de Strasbourg (Dr Jack Foucher, ICube, CNRS) et le centre expert schizophrénie de Strasbourg (Pr Fabrice Berna, Inserm U1114) ont conjugué leurs efforts pour comparer deux groupes de patients répondant à la description de « la schizophrénie », mais identifiés de longue date comme des formes cliniques plus homogènes. Ces formes répondent aux noms étranges de catatonie périodique et de cataphasie. Le préfixe « cata », issu du grec, signifie l’altération d’un processus, soit psychomoteur pour la cata-tonie, soit verbal pour la cata-phasie. On parle à leur sujet de « phénotype », pour indiquer que le diagnostic reste stable dans le temps et qu’il est homogène au sein d’une même famille, c’est-à-dire que si deux membres ou plus de la même famille souffrent d’un trouble psychotique, il s’agit de la même forme. Cela parait logique mais ce n’est pas le cas pour les « troubles » définis par les classifications internationales comme le DSM.
Le choix de ces deux « phénotypes » était principalement guidé par une raison pratique : leur fréquence. On considère que chacun affecte environ 1 à 2 européens sur 1 000, ce qui fait qu’à eux deux, ils correspondent à environ 20% des « schizophrénies ». Ils ont de plus la particularité d’être les phénotypes héritables au point qu’ils représentent à eux deux environ trois quarts des formes familiales, ce qui facilite leur identification.
Pour rechercher la cause, les auteurs ont cartographié le fonctionnement de l’ensemble du cerveau en utilisant une méthode quantitative par IRM (imagerie par résonnance magnétique). Si on suppose que des anomalies du fonctionnement cérébral sont bien à l’origine de la symptomatologie, la question revient à savoir si comparées à des sujets sains, ces anomalies sont communes à la cataphasie et à la catatonie périodique (et donc à « la » schizophrénie) ou si elles leurs sont spécifiques. Dans le dernier cas, cela signifie que les anomalies ne sont pas seulement observées entre des patients catatoniques et des sujet sains, mais il faut aussi qu’elles permettent de différencier les catatoniques des cataphasiques et inversement. De plus, pour être crédibles, ces anomalies devraient être situées dans les régions susceptibles de sous-tendre le processus altéré : des régions impliquées dans la motricité pour la cataphasie périodique et des régions impliquées dans le langage pour la cataphasie.
Les résultats sont sans équivoque : bien que tous les patients soient considérés comme souffrant de « la » schizophrénie, les deux phénotypes n’ont aucune anomalie en commun, en dehors de celle en rapport avec la prise d’un traitement antipsychotique. En revanche, catatonie périodique et cataphasie présentent des anomalies spécifiques et localisées dans des régions cérébrales pouvant expliquer leurs caractéristiques propres : une augmentation de l’activité des régions prémotrices gauche différencie la catatonie périodique non seulement des témoins mais aussi des patients souffrant de cataphasie. Et inversement c’est une diminution de l’activité, mais cette fois dans les régions temporales dédiées au langage qui différencie la cataphasie, non seulement des sujets sains, mais aussi des patients souffrant d’une catatonie périodique.
Les chercheurs restent prudents, mais explorent déjà la possibilité que ces anomalies soient de potentiels tests diagnostiques et que leur correction puisse soigner les patients. Car l’abandon d’une approche normativiste pour cette approche naturaliste, hautement différenciée, va de pair avec un bouleversement complet de la recherche sur des causes et leur traitement. C’est ce que les épistémologues appellent une révolution paradigmatique. Un immense chantier semble s’ouvrir, porteur d’un formidable espoir !
Référence: Foucher JR, Zhang YF, Roser MM, Lamy J, De Sousa PL, Weibel S, Vidailhet P, Mainberger O, Berna F. (in press) A Double Dissociation Between Two Psychotic Phenotypes: Periodic Catatonia and Cataphasia. Progress in Neuropsychopharmacology and Biological Psychiatry.
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